Merlin et Viviane
Par un clair matin de mai, les marins étaient prêts à lever l’ancre tout en sifflotant lorsqu’un homme s’approcha d’eux.
On ne distinguait rien de son visage masqué par un capuchon.
- C’est combien un trajet pour Avalon ? Demanda une voix sèche.
Les marins se regardèrent puis le plus jeune se dévoua.
- Mo... monsieur on… on ne prend pas de passager, bégaya-t-il devant l’éclat dur du regard de l’inconnu.
- J’ai demandé combien, es-tu sourd ?
Un des hommes de l’équipage bourra tranquillement sa pipe.
- 100 roubles par marin, pas moins. C’est dangereux d’aller là-bas.
L’inconnu acquiesça et jeta une bourse pleine au milieu des hommes qui se ruèrent dessus. L’homme prit une cabine vide et s’installa tranquillement, il jeta sa cape et en sortit une carte qu’il installa sur lit.
- Tant d’années, murmura-t-il. Cette fois je t’ai retrouvé, tu ne m’échapperas plus.
Il fit le trajet d’un doigt posé sur la carte, parcourant les îles d’une main victorieuse. Puis, satisfait, s’allongea et se laissa aller aux doux roulis des vagues contre la coque.
- Viviane, tu ne te concentres pas voyons !
- Pardon madame...
- Que disais-je à l’instant ?
La jeune femme soupira et chercha dans sa mémoire. Les deux femmes se trouvaient près d’un pommier en fleur. Le soleil était souriant et l’herbe sur laquelle elles étaient accroupies était d’une douceur incroyable. Un oiseau se posa sur l’index tendu de Viviane. Il poussa sa petite chansonnette et repartit comme il était venu.
- Vous parliez du basilic, madame.
- Exact, et de ses multiples propriétés. Maintenant le cours est terminé, tu peux rejoindre les autres. Ce soir nous préparerons Beltane.
- Je ne saurai l’oublier, madame, fit la jeune fille en s’inclinant légèrement.
Elle allait aussitôt se promener au plus loin des autres lorsque à peine quelques pas fait, elle entendit la voix de son amie claironner derrière elle.
- Alors ça y est ? La vieille chouette t’a laissé partir ?
- Ne parle pas comme ça de Diane, dit-elle en souriant malgré tout.
Elles éclatèrent de rire et marchèrent.
- Qu’est-ce qu’il ne va pas Viviane ? Demanda finalement son amie.
- Mais rien voyons ! Que vas-tu t’imaginer Morgane ?
La jeune fille se mit à rire.
- Mais je n’imagine rien ! Tu te lèves toutes les nuits vers la même heure en sursaut, tu nous fuis et tu es tout le temps dans tes pensées. Alors je ne suis pas dans l’imagination mais dans le réel…
Son amie soupira devant l’entêtement de la jeune élève.
- Je te raconterai plus tard, mentit Viviane.
Elle regarda sa camarade pour voir si elle la croyait.
Morgane était autant blonde que Viviane était brune. Elles avaient cependant toutes deux un point commun : leurs grands yeux bleus. Autour de la vingtaine, leur passé était totalement différent. Morgane était arrivée à Avalon à ses huit ans alors que Viviane était venue sous ordre de ses parents il y avait dix mois maintenant.
Morgane portait la robe de prêtresse apprentie alors que Viviane portait la robe immaculée des novices.
- On a le temps, non ? Rétorqua Morgane en s’asseyant allez raconte.
L’autre femme sut qu’elle n’arriverait jamais à lui faire abandonner une idée. Elle se mit à côté de son amie.
- Je fais un cauchemar depuis trois nuits consécutives.
- Mais…
- Oui, je sais, coupa Viviane. Rêve trois fois fait, se fera vrai. Mais il ne faut pas… Tu ne peux pas comprendre… Merlin arrive, il a retrouvé ma trace.
Son amie fronça les sourcils.
- LE merlin ? Le célèbre sorcier ?
Elle ne comprenait pas pourquoi Viviane était bouleversée. Les rumeurs étaient-elles fausses ? Celle d’un amour entre la princesse Viviane et le magicien ?
- Mes parents n’ont jamais accepté cette union, murmura-t-elle. Ils m’ont envoyé là pour que je l’oublie. S’il me trouve, il voudra rester et il ne le sait pas mais on le tuera si on le trouve en ma compagnie.
Elle ferma les yeux de tristesse et s’étendit sur l’herbe en regardant les nuages.
- Que c’est romantique ! S’enthousiasma Morgane. L’histoire d’un amour interdit !
La jeune fille brune sourit tristement.
- Il va me retrouver je le sens… Durant trois ans j’ai réussi à l’éloigner mais c’est fini. Il va arriver et il va finir par être tué.
Elle se mit à sangloter.
- Que puis-je faire, Morgane ?
- Cesser de t’inquiéter, chère amie, répondit-elle en l’embrassant sur la joue. Si la déesse a permis qu’il retrouve ton chemin alors c’est qu’il doit en être ainsi.
Viviane s’assit brusquement.
- Insinues-tu que nos sœurs sont brûlées chaque jour car la déesse le veut ? Par Aradia, aurais-tu côtoyé les adorateurs de ce dieu crucifié pour parler ainsi ?
- Non, je ne tiens pas la déesse et le dieu responsable de la bêtise humaine. Mais cependant, lorsqu’il s’agit de l’amour, laisse les faire…
Son amie ne dit rien et ferma les yeux de dépit.
- Allez ! Sourit ! Fit Morgane en riant. Ce soir c’est Beltane oublions nos soucis ! Et peut-être qui sais : tu seras choisie pour incarner le couple originel !
La jeune fille rougit à cette pensée et elles partirent faire des cueillettes.
- Comme il est doux de te revoir, fit Diane en voyant un homme entrer dans le sanctuaire.
- Le plaisir est partagé, répondit-il en s’inclinant. Puis-je me joindre aux festivités de ce soir ?
- Mais bien sûr ! Ce serait un honneur !
La prêtresse servit un verre de vin dans une coupe d’argent finement ciselée. Elle n’avait guère plus de quarante printemps, de légères ridules apparaissaient lorsqu’elle souriait mais sa beauté était toujours restée à son apogée.
- Alors Merlin, que viens-tu faire dans notre douce contrée ? Cela faisait bien cinq ans que je ne t’avais pas vu ! Comme tu as changé !
- La vie, madame, fait qu’on devient différent, dit-il en souriant.
Diane observa longuement cet homme de moins de trente ans qu’elle connaissait depuis longtemps.
- Quel âge cela te fait maintenant Myrdhin ?
L’homme eut un rire clair.
- On ne demande pas l’âge d’un magicien !
Elle sourit et lui offrit une pomme.
- Et l’on peut le demander à un ami ? Demanda-t-elle en lui faisant un léger clin d’œil.
Merlin enleva sa cape de voyage et s’assit confortablement pour déguster le fruit sucré.
- 25 ans chère amie si tu voulais tout savoir.
Elle sourit légèrement et s’assit à terre, une habitude ne l’ayant jamais quitté remarqua le magicien.
- Comment as-tu retrouvé la trace de Viviane ? Demanda la prêtresse.
Il avala un morceau de pomme de travers par stupeur.
- Alors tu étais au courant et tu ne m’as rien dit ? Fit-il en ayant toussé de nombreuses fois.
- J’ai juré de protéger la jeune fille et de la mettre sous ma garde. Tu connais pourtant la Prophétie ! Pourquoi t’obstines-tu alors qu’elle a choisit le bon chemin ?
L’enchanteur eu un éclat de rage dans le regard.
- Qu’est-ce qu’une prophétie pour un amour ?
Elle le regarda froidement, retrouvant toute la noblesse de son rang.
- C’est le péril du monde que vous mettez en jeu. Deux êtres magiques comme vous ne peuvent que donner un fruit qui détruira le monde !
- Mais je l’aime ! Cria-t-il en se levant brusquement.
Elle se leva à son tour tranquillement et l’embrassa sur le front.
- Je le sais très bien, mais abandonne cette passion impossible. Je te laisse venir ce soir incarner le dieu cornu mais fait le bon choix je t’en conjure ou sinon l’avenir de vous deux sera très sombre.
Il recula, s’inclina légèrement, lui souhaita une belle après-midi et disparut tout le reste de la journée dans son pommier favori.
Des rires se faisaient entendre, le feu venait d’être allumé. Plus d’une cinquantaine de sorciers et sorcières étaient rassemblés pour l’occasion. Quelques prêtresses sortirent leur harpe, les flutes cristallines et un air joyeux se fit entendre. Des couples se formèrent et dansèrent en rythme prenant tour à tour la voix pour chanter un couplet en l’honneur des dieux.
Les hommes portaient une tunique blanche après s’être baigné sous la lune. Les femmes portaient des tuniques rouges pour le sang qui coula de la déesse lors de la première nuit.
Les sorcières vierges portaient une tunique légèrement plus claire et attendaient de savoir qui d’entre elle serait choisie ce soir.
Tous dansaient, riaient, et plus la nuit passait, plus le rythme devenait soutenu. Morgane s’amusait avec son partenaire à accélérer le rythme et rien ne semblait l’arrêter. La chaleur montait sous les regards mielleux de l’homme en face.
Viviane tentait d’y mettre du cœur sans vraiment y parvenir. Ses pas suivaient ceux des autres mais son esprit restait obnubilé sur un seul prénom qui la préoccupait depuis quelques jours : Merlin.
Elle le sentait tout près. Elle ne savait pas où et pourquoi, mais tout son être tremblait.
Quand soudain la musique s’arrêta brusquement.
- Le serviteur du dieu s’avance, fit Diane d’une voix forte
Un homme arriva, entièrement vêtu de vert. Une couronne d’or symbolisait la puissance qu’il incarnait.
Comme le devait la coutume, les apprenties prêtresses s’inclinèrent en poussant un soupir tel que du le pousser la déesse lorsqu’il vit son promis.
Elles se relevèrent et passèrent tour à tour en dansant autour de lui. Viviane frisson et lui murmura alors en le frôlant.
- Que fais-tu là ?
Il ne répondit rien mais eut un sourire complice. Lorsque toutes les femmes furent passées à ses côtés, elles dansèrent en rond pendant que Diane demandait :
- Serviteur du dieu, qui incarnera la servante de la déesse ?
- Cette fille d’Aradia, dit-il en désignant Viviane.
La prêtresse ne laissa rien percevoir de son trouble et continua la cérémonie.
- Approche fille d’Aradia, devient pour une nuit la voix de la déesse. Approche fils de Cernunnos, devient pour une nuit la voix du dieu.
- Qu’il en soit ainsi ! S’exclamèrent en chœur la communauté.
Alors le tambour se fit entendre dans la nuit. Le couple commença à danser au milieu de la ronde des prêtresses et des prêtres.
- Je t’en prie, murmura Viviane. Il ne le faut pas.
- Ne m’aimes-tu pas ? Souffla-t-il.
- Plus que tout au monde mais mes parents te tueront lorsqu’ils sauront que tu m’as retrouvé.
- Seul le moment présent compte mon amour. Aimons-nous, laissons la déesse et le dieu parler à travers nos deux corps…
La cérémonie se poursuivit sans que quiconque ne ce soit aperçu de l’échange.
- Que vienne le dieu et la déesse, deux offrandes vous sont données de pleine grâce. Acceptez-les !
Alors le couple s’embrassa et se dévêtit. Viviane sentit une puissance entrer en elle. Un pouvoir d’amour total. Merlin reçut la paix du dieu. Alors à travers eux s’aimèrent Cernunnos et Aradia.
De leu côté, les vierges continuaient à danser autour du couple divin pendant que les autres louaient les dieux en donnant leurs ébats comme offrande.
Lorsque le soleil se leva, Viviane se leva en sursaut dans la plaine abandonnée. Elle se sentit déchirée entre la joie et la peine. Merlin se réveilla peu après et la vit prostrée, sanglotant en silence. Il vit son visage ravagé par les larmes et son cœur se serra.
- T’ai-je fait mal ?
Elle ne dit rien et se serra contre lui, frissonnante.
- Je t’aime tellement Merlin ! Mais qu’avons-nous fait là ?
Il l’embrassa et sécha ses larmes.
- Viens avec moi, chuchota-t-il en refaisant de sa main, les courbes de sa bien-aimée.
- Je…
Soudain il y eut des bruits et une messagère accourut.
- Habillez-vous ! Demoiselle Viviane vos parents sont là !
- Comment savent-ils si vite ? Par vite ! Si tu leur échappes ils ne pourront rien !
Il la regarda.
- Et toi ?
La jeune prêtresse lui sourit tristement.
- Notre destin est de vivre à jamais séparé je le crains…
Et elle partit sans se retourner. Mais au lieu de rejoindre ses parents, elle avança, décidée vers les falaises.
La messagère ne comprenait pas.
- Que faîtes-vous ?
- Vois-tu Ceit. Eternellement je serai retrouvée si je veux vivre mon amour. C’était ma dernière chance pour ne pas me marier et je refuse que tout autre que Merlin soit mon époux. Va voir mes parents, dis-leur que leur fille a trouvé le chemin qui lui était destiné et qu’ils ne pourront pas contrôler : la mort.
Et elle courut les derniers mètres avant de plonger dans le ciel tel un oiseau. Pour la première fois, Viviane eut un sourire glorieux et souffla avant de toucher la mer :
- Nous nous reverrons mon amour.
Elle n’entendit pas le hurlement là-haut. La mer l’accueillit tendrement dans son berceau. Merlin avait suivit la jeune femme sans qu’elle ne le sache, décidé à obliger les parents de sa bien-aimée à laisser leur enfant.
Il l’avait vu se jeter dans le vide sans rien pouvoir faire et hurlait de désespoir. Il courut jusqu’à la bâtisse pour retrouver Diane.
- Pourquoi leur as-tu dit ? Cria l’homme.
La prêtresse baissa les yeux.
- J’avais fait un serment. Nul ne peut échapper à son destin.
- Elle est morte…
Il s’effondra et ses larmes roulèrent sur ses joues.
- Par les dieux… Je suis désolée ! Merlin jamais je n’aurai cru…
Alors l’homme se releva, déterminé et avant de sortir dit :
- Nous sommes maîtres de notre destin Diane, plus que nous pouvons le croire.
Et il rejoint son amour dans les hautes sphères de l’espoir. Là, les deux amants furent éternellement heureux et rien ne put les séparer.
Aujourd’hui encore, on peut sentir quelques fois dans le ciel une brise d’amour qui chante les amours tristes des deux plus grands enchanteurs…
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