Le sonneur de brume
Il est debout, pâle et grave ses cheveux bruns flottant
Son drapeau noir et blanc dans la bise de l’avent,
Au bord d’un lac perdu au milieu de nulle part,
Aux contours avalés d’un manteau de brouillard
Il s’est paré en cette aube de l’habit d’autrefois :
Celui de ses ancêtres, celui de sa mémoire,
Une chemise blanche, un gilet de grain noir,
Un bragou braz bleu méprisant son trépas.
Yann Erwan il se nomme, l’orage et le chagrin,
Son gris regard fermé, noyé joutant le flux,
Il pleure son pays abandonné des siens,
Il venge son pays à ses lèvres pendu.
Il ébloui sa peine dans cet air douloureux,
puissamment , rappelant son âme en sa matière,
Tel un si lourd sanglot que sa terre de ses serres,
Le nourrit de son suc humide et valeureux.
Mais il sait que son arme, par le son écorché,
Brise les frontières des cinq pays violés,
En faisant tournoyer dans la toile de l’éther
Les poètes oubliés, les druides et les colères,
La cornemuse supplie et la plainte déchirante,
Fait se courber l’échine des arbres aux noires teintes,
Et gémir le renard et planer la complainte
De la vieille enchanteresse du lac qui chante.
Yann se tient immobile, son air halluciné
Traverse les voiles : « Ogme Dieu de la guerre,
Entend mon sanglot long, entend ma mélopée,
viens et vivifie moi par ta force millénaire, »
« Entend l’ incantation de la gwrac’h là bas,
De l’autre côté de la rive, les bras en croix.
Dont l’âme t’ es fidèle depuis la nuit de son rêve,
Dont les chants sont offrande pour que demeure ta sève »
« Ou est la langue aimée : méprisée et noyée,
Le sel de ce pays : dilué dans l’oubli,
Ou sont les hommes fiers sur leur terre aujourd‘hui,
Flambés dans une essence aux vapeurs d’ hallali. »
« Plus de lune qui se lève pour une mer nouvelle,
Plus de soleil mourant que l’on boit en tremblant
Plus de pluie adorée au souffle du ponant,
Plus de mûres à fermer les yeux, à humer le ciel,
« La pierre des calvaires nul ne la touche,
La brune lande aride n’affole plus les idées,
Personne n’enlace l’arbre à ses bras écorchés,
Les sens émerveillés ne sont plus qu’avide bouche »
« Ogme je me donne à toi pour que ma terre sourie,
Je suis le messager de cette femme en noir,
Car rien qui vaille pour les hommes aujourd’hui,
Que leurs folles voitures à rouiller dérisoires »
Rien de bon ne peut advenir désormais,
« Ils seront les victimes nous serons les faucheurs,
En cette hâve journée j’ai sonné la noirceur
De la charrette aux essieux grimaçants des excès»
***
Oh vous Glenn, Per Jaquez, Fench : vous absous,
Du cercle blanc du Gwenred, soldats vêtus de bure,
Apaisez l’armée déchainée des armures,
Par votre âme sereine maitrisez le vent fou,
Offrez, par la toile de l’éther qui s’entaille
A cet homme en folie propulsé dans l’abime
Pour que son art soit croire et sa colère sublime
Et pour que le biniou soit offrande aux merveilles
Offrez l’art pur que fut votre vie de vertiges,
Par les beaux sacrifices et les mots envoutants,
Les chansons amoureuses pour que giclent des vestiges,
Les palais de granit d’un héritage poignant.
En grâce, détournez ce cœur en chair et en son,
De la grêle qui charrie le sang et la rancœur,
Mon pays survivra , son âme à l’unisson,
De certains comme vous qui lui offrent leur cœur,
Leurs jours et leur labeur, leur art en floraison
Je veux leur rendre hommage et leur dire merci,
Pour toujours veiller, sentinelles, sur mon nom,
Contre vents et marée, et l’ âme assujettie,
Vous d’hier et demain, gardiens des traditions,
Pour cette terre rebelle, fière et créative :
Magie et poésie, mélodie, oraison,
Que le sonneur par votre or devienne source vive.
Qu’il soit la douleur dans la brume, la joie dans le présent,
Qu’il soit l’excès la tempérance, la folie d’être un,
Qu’il soit chacun de nous, symbole de nos matins,
Ainsi soit il, ainsi soit il, qu’il soit vivant !
Qu’il marche et pleure, fier, l’émotion de son rang,
Celui des soldats qui défilent sans fusil et sans cris,
Autre que celui indicible des bagad dans les nuits,
De Quimper ou de Brest, de Nantes ou de Lorient.
christine