"Le bal des ombres"

Le bal des ombres vient de s´ouvrir. Parmi les cendres encore envoûtées du sombre front de la Terre, un corbeau ovale, fossoyeur à l´écaille d´ébène, s´agrafe, tel un poux gorgé de vinasse, sur les pâles lèvres de l´écu crémeux. Le bal des ombres est de retour dans les comtés de l´obscurité où un sifflement désaccordé, imperceptible ultrason des vampires, dirige l´occulte cantique de l´archange aux doigts de cire. Mais dans ce bal, le public brille par son silence. Discrètement, les dix yeux du paon essayent d´enlacer les hanches de leur souvenir. Autant essayer d´attraper les nageoires du gamin cupide! Il nous nargue, l´insolent, du haut de la souillure de ses couches! Le bal des ombres s´est ouvert timidement au fond des stigmates de l´âme où l´infâme flagellation a remplacé les aimables caresses du martinet.De l´Orient lointain, les pagodes de bronze sonnent leur infatigable couvre-feu, la mise en quarantaine des chaumières chatoyantes. Un intrépide voyageur s´aventure cependant, insouciant, dans ce bal curieux. Une cohorte de glaives congelés s´abat alors, imprévisible, sur sa monstrueuse silhouette bovine. Ici, chacun cherche avidement une main à saisir, un bras à scarifier, un corps à mutiler, car il faut bien graver sa douleur sur un jeune support charnel. Et on oublie les scrupules, toute fleur étant vouée, un jour ou l´autre, et aussi belle soit-elle, à la putréfaction sépulcrale. Et lorsque réapparaîtra, blêmi par son coït de la veille, le fougueux étalon aux reflets de mimosa, le bal des ombres se refermera et les caméléons, ces alchimistes des formes, reprendront peu à peu leur ton théâtral en offrant au museau de l´Homme cette fantasmagorie ambiante dont il a tant besoin.