La ronde des mots

C'est la ronde des mots, des mots de tous les jours
Que l'on dit familiers
De la ville au hameau, ils reviennent toujours
Ils fusent par milliers

Des mots qui déménagent, qui vont chercher l'écho
Percutants, incongrus
Croqueurs de personnages, descripteurs lexicaux
De la vie, de la rue

Un bêcheur se pavane, sans vergogne au dehors
Il va bombant le torse
Un mouisard trime et rame, en qête d'un support
Pour prendre un peu de force

Un gincheux vitupére, d'une voix de roquet
Il aboie son courroux
Un sanguin le repère, lui rabat le caquet
Comme avec un verrou

Un vantard la ramène, avec force bagout
Il étale sa science
Un badeau se promène, observe et, tout à coup
Part, à bout de patience

Un boudiné énorme, va d'un pas qui hésite
Trimbalant sa bedaine
Un filou filiforme, à ses côtés récite
Quelques calembredaines

Un gueulard apostrophe un chauffeur d'autobus
Qui arrive en retard
On grimpe en catastrophe, s'entasser rasibus
Et la tronche en pétard

Des vélos, des bagnoles et des bruits de moteur
Et des coups de pédales
Des gamins, des torgnoles, des rôdeurs, des mateurs
D'autres qui voient que dalle

Un guignol en guimbarde, portant des rouflaquettes
Et des lunettes noires
Va frôler la rambarde, en lorgnant les coquettes
Gambettes des trottoirs

Un charlot, chaud lapin, reluque une poupée
Pour lui inaccessible
Cependant qu'un rupin l'aborde avec toupet
Pour lui, tout est possible

D'ambitieux saligauds, pompent, pompent l'oseille
Alors qu'ils font ripaille
Démunis, les gogos, chaque jour se réveillent
Plus nombreux sur la paille

Des tout endimanchés vont dans des coins sordides
S'encanailler un peu
Tandis que, décrochés, des pauvres, ventre vide
Vont le derme râpeux

Combines, comédies, copinage, compères
Des gonflés et des couards
Des fêlés, des harpies, des langues de vipères
Et, autour, l'auditoire

Des slogans attractifs et les coups bidonnés
Des bouffons de l'esbroufe
Des boucles au bout des tifs, accroche coeurs bernés
Etouffés dans la touffe

Désertant la cohue, le sage, dès demain
Dépassera les murs
Et le tohu-bohu, pour choisir le chemin
Qui mène à la ramure

A l'abord d'un jardin, des regards fraternels
Des sourires éclatants
Apparaîtront soudain, pétillantes prunelles
Qui ravivent le temps

Des amours, des "je t'aime", des gestes de tendresse
Des élans, des baisers
A l'apogée du thème, de fougueuses caresses
Et des corps embrasés

La vie qui ravigote le regard avisé
Présent dans les parages
Qui, sur le champ, dégote la rose et la rosée
Et le ciel sans orage

C'est la ronde des mots, des mots de tous les jours
Que l'on dit familiers
De la ville au hameau, ils reviennent toujours
Ils fusent par milliers

Bonjour Roger,

La ronde des mots décrit des personnages à la Prévert, ça ressemble à une promenade dans la jungle des trottoirs d'une ville surpeuplée, avant d'arriver comme dans une oasis jusqu'à un jardin public, et c'est agréable de marcher à côté le temps d'un poème.

Que dire de plus que toi David, tu as si bien cerné le tableau...
Ah si !... Dans ce magnifique tableau de ville ;
J'y ai vu Laurel et Hardy

Spoiler:

bonjour Roger,
je trouve que vous dansez très bien la valse avec vos mots !! et j'apprécie cette double rime qui fait de votre texte son embellit au delà de ce qu'il nous transpose !!
magnifique.
amicalement en bisous
LIBELLULE.

Merci à David, Gérard et Libellule de m'avoir accompagné dans cette ronde des mots.

Amicalement

Roger

J'ai étendu un sourire cynique en début de la lecture, et quand j'ai commencé à avoir le scrupule de ce sentiment négatif, le texte est devenu bénéfique, et alors que j'allais lacher cette ronde, j'ai repris à espérer en choeur avec vous.

Non, le sage n'est pas perdu, il ne serait pas un sage en ce cas, vou n'êtes pas perdu en ce monde, et vous êtes sage par cela.

Merci de ton passage et de ton commentaire, le sage peut paraître perdu (égaré) dans un monde qui ne lui convient pas, non ?

En fait, pour moi, il s'agit d'un exercice qui consistait à dépeindre des personnages, des lieux et des situations en utilisant des mots "familiers" , c'est à dire "le parler de la rue".

Amicalement

Roger

Le poète oui, c'est dans le refus d'un monde imparfait que l'homme se fait artiste pour recréer l'univers comme il lui conviendrait, mais la sagesse c'est faire acte de s'adapter à ce monde, la vertu fait du sage un poète.

Oui le sage est souvent poète, mais ce mot à beaucoup de connotations: chez les philosophes grecs, sagesse (sophia) est la conduite droite, la maîtrise du logos.

Amicalement

Roger