DENIZ Gerardo - Nevermore

NEVERMORE

Elle est arrivée un jour à midi,
je ne l'attendais pas.
Elle avait l'air bien disposée. Assez laide.
Je me suis rappelé l'avoir vue quand je faisais de la poésie,
comme je souhaite maintenant en refaire.
Sur le moment ne m'est venu à l'esprit que de lui donner un chiffon
et de lui signaler quelques livres.
Obéissante, elle s'est mise à épousseter.
Puis je lui ai adressé un sourire en coin – elle a fait le lit.
J'ai retenté l'expérience – elle a fait la vaisselle. (Moi, ravi.)

Pour qu'elle puisse balayer et passer la serpillière tranquille-
ment, et en témoignage de ma confiance,
je suis parti et l'ai laissée seule.
En rentrant,
l'appartement sentait agréablement l'humide et l'antiseptique.
À de multiples détails je me suis aperçu
qu'elle avait mis des disques,
lu mes tablettes les plus inconfessables,
reposé sur (encore heureux) mon lit
mais j'ai haussé les épaules, comme se doit tout chevalier de Calatrave.

(Elle m'avait aussi volé un ou deux livres, comme je le remarquai plus tard.)

Je l'ai payée somptueusement et elle est partie, modeste.
Alors je me suis installé devant ma table immaculée,
j'ai ouvert mon cahier, taillé ma plume
- et rien.
J'ai écarquillé les yeux,
ouvert la bouche, sans respirer, me rencontrant.
Et rien.
En fin de compte, je ne veux pas le cacher. Le fait est que soudain
j'ai eu l'illumination : c'était l'Inspiration
et je l'avais traitée comme on sait. (Pas vraiment mal, on l'a bien vu,
mais bon quand même -

C'est ainsi qu'on peut expliquer cela
et plus encore.

Gerardo Deniz (1934-2014), poète mexicain. Poème traduit de l'espagnol par Jean-Luc Lacarrière.

Bonjour Eric, voilà une inspiration précédée si non provoquée par bien des péripéties.
Merci pour cet agréable partage.