La Barillette

J’ai ouvert mon grand vrac à souvenirs
Et c’est le bazar.
Je me souviens, je me souviens…

D’abord… Je suis née, j’avais quinze ans.
Je me souviens,
On m’appelait Anje.

Avant… Vaguement, je me souviens.

Odeur de pains chauds
… Sueur maternelle
Attirance écœurante
… Répulsion rassurante
Bribes de mémoire en construction.

Avant… Encore avant
Sur le fil du temps, je remonte.

Il y a les oublis, les rejets,
Les secrets coincés en grosse boule dans le gosier.
Reste peu de choses : une vie en dents de scie
Sans intérêts.

À dix ans c’était décidé :
je mourrai à quatre fois mon âge.
C’est le bel âge pour mourir,
Quarante ans…
Ça me semblait interminable.
Trente ans à attendre le grand noir.

J’ai cinquante ans,
trente ans devant moi… je ne suis plus si pressée.
J’ai encore dix ans
je régresse, c’est ça je régresse…

Une poussette au mou balancement
D’une porte à l’autre sans retenue
Dégringolade sans freins

Néant… plus rien… même pas peur !

Image imprimée du bébé décervelé
Une courtepointe sans issue
Rampant bambin
Dans pénombre et silence
d’une sieste imposée
Solitaire sauvetage sans témoins
Humaine providence… j’ignore !

À l’enfant seul connus
drames d’avant les mots,

d’avant les premiers pas.

Je me souviens aussi d’un fil de fer,
entre poussière de graviers et gazon humide,
cul par-dessus tête ça ne s’appelle pas
ça n’existe donc pas !
Pourtant ce fut.
Sans les mots ce fut confus.
Il y a un cerf et des chiens après le cerf.
Scène figée
C’est grand au soleil.
Ça existera demain quand j’aurai dix ans,
que j’y trainerai ma dégaine de garçon manqué.

… Comme fille, je n’étais d’ailleurs pas bien finie non plus.

Une ruine, un matin, peut-être… je ne sais pas.
L’endroit plus tard, bien plus tard,
familier de mes premiers étés,
genoux écorchés, pieds nus dans la rivière.
A mes premières escapades,
deux pierres étouffées par les herbes.
Ma mémoire savait qu’il y avait eu un moulin !

Jupe plissée, ridicules rubans dans une chevelure emmêlée,
Le peigne s’y cassait les dents.
Ça me cassait les pieds !
Froid sur la nuque vide de boucles qui enquiquinaient ma mère
Quand elle eut congédié la gardeuse d’enfant.

Souvenance de l’enfance chagrin.
Je me rappelle
les évasions, les vraies dans la campagne, sur les collines d’Ezy, dans les bois de Dreux
Et dans l’âtre de la vieille maison de ma grand-mère.
Mon domaine avec les albums cartonnés.
Les histoires que je racontais à mon nounours pour qu’il s’endorme.
Sous la table de la cuisine, j’avais lacéré la toile cirée…
Je vivais dans un tipi sur la grande plaine des Amériques.

Et mon premier stylo Bic gris et rose, le témoin des premiers mots recopiés.

Je me souviens de la première fois
Lire le journal comme on tousse, la lecture fut une révélation.
J’avais cinq ans.
J’étais sur les genoux de mon père sirotant un rhum café entre deux fournées de pains
je me souviens…

C'est à la fois joli et triste... je ne sais pas réellement quel sentiment j'éprouve seulement je sais que j'ai des frissons et cela, crois moi, c'est bon signe...
Dreux, je connais... j'étais en fonction 5 ans à Senonches... 35 km de Dreux 35 km de Chartres et deux naissances une dans chaque ville...
Je crois qu'en fait, comme les précédents, je le trouve super beau ce poème.
Merci à toi.