"Le spectre de la démence" partie 1

BALADE

I/
Il était là, absent et transparent,
au bord de sa table de travail.
Une lampe aveugle ainsi qu'une solitaire
tasse de poussière caféinée pour seule
compagnie.
Un silence abyssal s'entretenait en privé,
tandis que l'ordinateur somnolent
rompait la symphonie silencieuse
de l'éternel royaume de Morphée.

II/
De temps à autre il lui arrivait de sortir,
de fuir son tombeau de brique.
Il pouvait alors observer le défilé macabre
des spectres bestiaux de notre temps,
le puits celeste de nos nuits oubliées,
les serpents argentés, les poignards étincelants...
Au loin, il pouvait même distinguer
la funeste fumée des fossoyeurs affamés,
l'absurde progrès offert par Prométhée,
la condamnation divine du monde aux ténèbres.

III/
Et lorsque son corps, évaporé,
ne formait plus qu'un avec le vent véloce,
il parcourait alors chaque recoin
de la ville embaumée, vive résidence
des cendres immortelles du passé.

IV/
Pour lui, les horloges n'avaient guère plus
de potence:
L'aube se mêlait au crépuscule
l'obscurité à la clarté,
la pureté à la rouille...
De telle façon que Saturne lui même
se perdait dans les mondanités de ses festins.

V/
Les rues stagnantes, les voix errantes,
les faubourgs imbibés de liqueurs,
les ailes brisées des fleuves désertiques;
tout semblait sombrer indifféremment
dans la brume opaque des années,
des siècles lâchement délaissés
par les rayons infernaux
de ce balourd de l'olympe.

VI/
Un cercle aussi vicieux que l'hiver
semblait l'emporter dans son interminable
cortège , parmi la multitude
des pâles ombres assoiffées
de l'horizon souterrain .

VII/
Par la suite il découvrait la splendeur
de l'écho muet, la perçante cécité
des catacombes paradisiaques,
des antres ensoleillées,
des caves avisées.

VIII/
À travers les sentiers honteux
de la populace perverse,
il cherchait une source vertigineuse,
rare vestige d'une couleur
maintenant diluée.
Une chanson aphone murmurait
son désespoir analphabète...

IX/
En s'aimant, les aimants amoureux
dansaient une valse fiévreuse,
négligeant les vitraux écaillés
par leurs sentiments crépitants,
oubliant les joyeuses complaintes
prophétiques des corbeaux.

X/
Des visages anonymes se berçaient
au son des places venteuses.
Il aurait voulu les palper,
les effleurer de la pointe
de ses ongles marbrés.
Mais l'air rapace les emportait,
un par un, puis un parrain,
dans son grand gouffre azuré
parmi sa collection d'yeux,
dieux odieux, oh Dieu des adieux!