Un temps ivre de toi

UN TEMPS IVRE DE TOI

Je me souviens d'hier et des étoiles dansent
D'un temps ivre d'amour d'un temps ivre de toi
D'un temps à ne verser que des larmes de joie
Au creux du souvenir de nos douces errances

Je plonge dans ma nuit et ses ténèbres denses
Sur des sentiers de pluie je hume la douleur
Impossible du cœur qui cogne dans le cœur
Ma main vide de toi indicible souffrance

Et pourtant ils étaient radieux nos matins
Le ciel était si bleu et la vie si facile
Nous étions toi et moi comme au creux de notre île
Entourés par les flots et les oiseaux marins

Je plonge dans ma nuit et nul ne me retient
La vieille angoisse enfouie resurgit immobile
Araignée du néant monstre hideux et hostile
Qui s'était assoupie mais qui toujours revient

Rien ne troublait jamais nos saisons enchantées
Rien ne faisait rider le doux miroir de l'eau
Nos deux reflets toujours soudés comme des mots
Glissaient, fantômes heureux, d'une vie inventée

Je plonge dans ma nuit extrême solitude
Mes rêves impossibles à jamais abolis
Le cri est en dedans je plonge dans ma nuit
Une nouvelle fois longs instants d'hébétude

Je t'aimais, toi non plus. Nous riions quelquefois
D'être tellement bien, d'être tellement sages
Nous n'avions pas encore appris le mot Naufrage
Notre barque a pris l'eau depuis lors je me noie

Et chaque fois les jours vides, teintés de gris,
Reviennent me narguer chargés de leur silence
Hostile.  Et dans ma tête en farandole dansent
Mes papillons d'amour et mes espoirs enfuis

UN JOUR UN JOUR (Louis Aragon)

Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd'hui surgit devant le crime

Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu
Emplissant tout à coup l'univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue

Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais je voyais l'avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porté sur nos rivages

Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l'a touché

Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l'enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifié d'idoles
Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou

Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche