À Yannis Ritsos, dans une prison de Grèce.
Sortez-le, le poète !
Il n'a que faire ici.
Il ne joue pas le jeu.
Il n'a pas d'enthousiasme.
Il ne délivre pas clairement son message.
Il ne remarque même pas les miracles.
Il passe tout son temps à se creuser la tête.
Il trouve toujours quelque chose à objecter.
Sortez-le, ce mec-là !
Ecartez-le, ce trouble-fête,
ce mal-luné
de l'été,
avec ses lunettes noires
sous le soleil naissant.
Ce type que séduisent
toujours les errements,
les belles catastrophes
des journées sans Histoire.
Il est
même
démodé.
Il n'aime que le vieil Armstrong.
Tout au plus il fredonne
un air de Pete Seeger.
Ou chante
entre ses dents
La Guantanamera.
Mais personne
ne lui fera ouvrir la bouche,
mais personne
ne le fera même sourire
chaque fois que commence le spectacle
et que les clowns (*)
bondissent sur la scène ;
lorsque les perroquets
confondent l'amour avec la terreur
et que les planches craquent
et que les cuivres tonnent
et les tambours
et que tout le monde saute,
s'inclinant,
reculant,
souriant,
ouvrant la bouche
« oui, certes,
bien sûr que oui,
mais oui, mais oui... »
et ils dansent tous très bien,
merveilleusement bien,
et tel qu'on leur demande de danser.
Sortez-le, ce mec-là !
Il n'a que faire ici.
FUERA DEL JUEGO
A Yannis Ritsos, en una cárcel de Grecia.
¡ Al poeta, despídanlo !
Ese no tiene aquí nada que hacer.
No entra en el juego.
No se entusiasma.
No pone en claro su mensaje.
No repara siquiera en los milagros.
Se pasa el día entero cavilando.
Encuentra siempre algo que objetar.
¡ A ese tipo, despídanlo !
Echen a un lado el aguafiestas,
a ese malhumorado
del verano,
con gafas negras
bajo el sol que nace.
Siempre
le sedujeron las andanzas
y las bellas catástrofes
del tiempo sin Historia.
Es
incluso
anticuado.
Sólo le gusta el viejo Armstrong.
Tararea, a lo sumo,
una canción de Pete Seeger.
Canta,
entre dientes,
La Guantanamera.
Pero no hay
quien lo haga abrir la boca,
pero no hay
quien lo haga sonreír
cada vez que comienza el espectáculo
y brincan
los payasos por la escena (*) ;
cuando las cacatúas
confunden el amor con el terror
y está crujiendo el escenario
y truenan los metales
y los cueros
y todo el mundo salta,
se inclina,
retrocede,
sonríe,
abre la boca
« pues sí,
claro que sí
por supuesto que sí... »
y bailan todos bien,
bailan bonito,
como les piden que sea el baile.
¡ A ese tipo, despídanlo !
Eso no tiene aquí nada que hacer.
(*) Heberto Padilla fait probablement allusion à Fidel Castro, Ernesto Che Guevara, etc. En 1968, la publication de son recueil intitulé Fuera del juego, bien que couronné par l'UNEAC (Union Nationale des Écrivains et Artistes de Cuba), entraîna des poursuites policières, l'emprisonnement et la contrainte d'une auto-critique. L'« affaire Padilla » venait de naître. Elle allait provoquer la rupture d'un certain nombre d'intellectuels latino-américains et européens avec la Révolution. Marginalisé, remarié avec la poétesse Belkis Cuza Malé, il fut autorisé à quitter le pays en 1980 et s'exila aux États-Unis. Sur toutes ces années, Padilla a laissé son témoignage dans un livre de Mémoires, La mala memoria (Barcelone, 1989).
Heberto Padilla (1932-2000), poète cubain. Poème extrait du recueil intitulé Hors-jeu (1968) traduit de l'espagnol par Claude Couffon.