L'univers parallèle
"Bonjour, le temps est si clair aujourd'hui Barbara,
n'aurais-tu pas envie d'une sortie en forêt ?
Je savais à l'avance que sa réponse serait positive, nous étions
toutes les deux folles de la majesté des grands pins qui abondaient
sur nos collines méditerranéennes.
Elle arriva bientôt, vêtue d'un pantalon usagé, d'un gros pull
et d'une bonne paire de bottes. Tenue presque idéale pour la
promenade. Nous partîmes d'un pas léger, chacune essayant de
régler son allure sur celle de sa compagne. La fraîcheur de
l'air et l'activité maquillaient le visage de mon amie et ravivaient
son teint. Ses longues boucles brunes, véritables spirales,
semblaient retenir en elle toutes les forces de la nature.
Avait-elle encore besoin de l'amour des arbres ?
Elle allait vers eux et caressait leur écorce :
"Écoute me dit-elle, il vibre".
J'enserrai un chêne dans mes bras et collai mon oreille contre
son tronc. J'avais l'impression que des élémentaux invisibles
travaillaient dans l'ombre et je ressentis alors une joie infinie,
telle que mon corps s'effaçait : rien ne comptait plus que
la Joie ! Un amour-joie extraterrestre que jamais je n'avais ressenti auparavant…
"Tu as de drôles d'yeux, s'étonna mon amie, comme ton regard
est étrange !" Cette réflexion me fit redescendre sur terre et je restai sur
ma faim. Elle ajouta : "Savais-tu que les Amérindiens choisissaient
parmi les arbres qui poussaient sur leur territoire, un arbre
Sain, contre lequel ils s'adossaient, en lui demandant le
surplus des forces qui ne lui étaient pas nécessaires ?".
J'acquiesçai. Nous étions sur les mêmes ondes. Barbara était
une militante en écologie et j'aimais l'écouter. Elle connaissait
tant de choses sur la vie des espèces, des animaux, des
plantes. Mais son approche de la nature n'était pas seulement
dans le concret, elle se servait beaucoup de son intuition et
de sa sensibilité. Son sens de l'observation était étonnant,
elle voyait mille détails qui étaient inaccessibles à mes
yeux inexpérimentés et il me fallait faire de gros efforts
pour repérer l'animal dont elle me parlait. Branches cassées,
piétinées, fientes, quelques poils abandonnés sur les ronces
sauvages, aucun de ces éléments ne lui échappaient. Combien
de kilomètres avons-nous fait ainsi sous le soleil, de découverte
en découverte, d'émerveillement en émerveillement.
Comme la nature est complexe et comme elle est fascinante !
Nous marchions dans la montagne, ivres d'air pur et
de lumière. Tout à coup Barbara s'arrêta, saisie :
"Sais-tu où nous sommes ?".
Je l'ignorais.
Une vallée immense s'étendait devant nous. De la neige fondait
par endroits et curieusement nous ne souffrions pas d'une variation
de température.
Où étions-nous ?
Le paysage avait changé si brutalement !
Des moutons broutaient une herbe tendre, des moutons aux allures
inattendues, hauts sur pattes, longilignes. Des chèvres à l'ossature
puissante relevaient dignement la tête à notre passage,
leurs longs poils flottaient dans le vent et leurs cornes semblaient
défier l'univers, véritables répliques d'un A.D.N grandiose
Les vaches attirèrent notre attention, elles étaient minuscules, à
peine plus hautes que les chèvres. Tous ces animaux étaient d'une
blancheur immaculée. Quelques enfants vêtus de lainages et de
Pantalons aux couleurs vives et gaies, couraient, bondissaient
au milieu d'eux. Bergers d'un temps nouveau où toutes les races
paissaient la même grasse et belle prairie? Racisme aboli et
abondance pour tous? Notre étonnement s'amplifiait devant ce
spectacle inhabituel et nos yeux s'écarquillaient à la vue des
grands pics enneigés qui entouraient presque hermétiquement la
vallée. A leurs pieds, des bâtiments blancs se détachaient sur
la verdure inondée de lumière.
Barbara se décida :
"Viens, où que nous soyons, nous verrons bien, on dit que tous
les chemins mènent à Rome !".
Je lui emboîtai prestement le pas.
Arrivées devant l'une des constructions, nous nous trouvâmes
près d'une porte électronique. Elle s'ouvrit rapidement et
laissa passer Barbara. Je restai là, interdite et désemparée,
prisonnière de cette porte dont j'essayai en vain de me dégager.
Un homme s'approcha, élégant, portant chapeau et gabardine
entièrement gris, son visage sans traits distincts se pencha
sur moi. Singulièrement, sa présence me rassura. La porte s'entrouvrit devant lui, me délivrant de cette situation pénible. "Vous ne pouvez pas entrer dans cette demeure, expliqua-t-il, car vous possédez de l'argent de l'Autre Monde".
Des pensée~affluaient, pêle-mêle, je me souvenais de sensations
bizarres. Barbara et moi avions donc quitté notre univers
Nous étions sans doute dans un monde parallèle, un monde imperceptible
pour les humains à l'esprit cartésien éliminant à
l'heure actuelle toute autre vision. Nous avons la chance d'avoir
un cerveau Intelligent auquel nous devons peut-être la conscience
d'avoir une Conscience, un cerveau gauche, bourré d'informations
Diverses, parfois inutiles mais aussi un cerveau droit,
léger, libre comme une libellule, créatif, intuitif. Cerveau
de l'Avenir et de l'Ère du Verseau?
Quoi qu'il en soit, Barbara semblait voir accès à la totalité
de cette Réalité à laquelle j'étais encore incomplètement préparée.
L'homme en gris était-il gardien d'un seuil que je ne
pouvais franchir ?
Soudain je sentis' une main sur mon épaule. Mon amie
était de retour, épanouie, un rire retenu pétillait dans ses
prunelles. Elle avait l'air si heureuse ! Je ne lui posais
aucune question. Barbara attrapa mon bras ;
"Il faut absolument que nous revenions ici pour les vacances.
Allons-nous renseigner".
Nous voilà grimpant, pleines d'allégresse, les escaliers d'une
autre bâtisse, quatre à quatre. Nous arrivâmes dans un bureau
dont la secrétaire paraissait s'être absentée.
Des affiches habillaient la nudité des murs. Publicité sur la région
avec de jolies photographies, mais nous avions beau
essayer d'en traduire les textes, ceux-ci nous restaient incompréhensibles.
Mon regard entra dans celui de Barbara, longtemps,
profondément, et il me semblait lire en elle.
Je compris à son expression que si nous quittions ces lieux
enchanteurs pour rejoindre notre famille et nos amis, jamais
plus nous ne pourrions y revenir.
Un choix nous était donc proposé, mais bien que Barbara
eût l'air d'être plus avancée que moi, nous n'étions pas
prêtes à quitter le Vieux Monde.