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C'est cette même fascination naïve pour l'avenir qui explique le scandale de nos cours d'histoire. L'affaire a refait surface pour une énième fois cette semaine devant notre classe politique médusée. L'enseignement de l'histoire du Québec est en train de disparaître et nos élites regardent leurs souliers, silencieuses et gênées. Coupables peut-être?
Oui, l'enseignement de l'histoire du Québec est en train de disparaître. Et cela de plusieurs façons. D'abord parce que ce n'est plus cool au cégep d'étudier le Québec. De quel droit, je vous le demande, imposerait-on à nos chérubins d'étudier la société et la nation qui les ont vus naître? Et pourquoi pas l'accord des participes passés tant qu'à y être!
L'histoire recule aussi parce que les professeurs d'histoire politique, celle qui a représenté depuis toujours le coeur de l'histoire tout court, sont en voie de disparition dans nos universités. Enfin, parce que les corporatismes s'opposent à la création d'un véritable cours d'histoire du XXe siècle en cinquième secondaire. Alors, imaginez au cégep.
Mais c'est surtout notre fascination naïve pour le présent qui transforme l'histoire en conversation permanente sur l'actualité. Nos programmes d'histoire n'aiment pas l'histoire, ils n'aiment que le présent. Il n'est qu'à ouvrir un manuel pour s'en convaincre. Féminisme, écologie et «ouverture à l'autre», voilà tout ce qui intéresse les nouveaux pédagogues, aussi bien dans la dynastie des Omeyyades et dans la Rome antique que dans le XIXe siècle québécois. Quel beau symbole d'«ouverture» que ce nombrilisme exacerbé incapable d'entendre ce que disaient nos ancêtres et de saisir ce qui leur a permis de bâtir de peine et de misère une civilisation française en Amérique. Civilisation, un mot que l'on n'ose plus prononcer!
On accuse les partisans de l'histoire de vouloir endoctriner nos jeunes alors qu'ils refusent simplement de faire table rase du passé et réclament qu'on étudie tous nos historiens: de F. X. Garneau à Jacques Lacoursière, et pas seulement ceux qui sont nés de la dernière pluie. Au lieu de cela, un historien brillant comme Jocelyn Létourneau se complaît dans les clichés de l'époque en nous enjoignant d'abandonner les «vieilles catégories analytiques», «de passer à l'avenir» ou, mieux, «à autre chose». Remarquez le caractère indéfini et pourtant tellement explicite de cette «chose».
La formule me fait penser à ce discours prononcé par Jean Chrétien dans les murs de la Sorbonne le jour du dixième anniversaire de l'échec des accords du lac Meech. Sous le regard sévère de Richelieu et devant un parterre d'historiens, il avait laissé échapper cette perle: «Pourquoi regarder [sic] et discuter du passé?»
On ne lui en voudra pas de ne pas avoir su que les grands changements historiques sont rarement nés de l'idolâtrie de l'avenir. Ils sont le plus souvent le fruit d'une redécouverte du passé.
Christian Rioux
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