Port d'attacheUn pied marin
Un pied sur terre
Je me projette au fil de l'eau
Je suis un des dépositaires
De la saga du matelot
Je clapote
Je ronronne
Et je frémis à fleur de peau
Je bouillonne
Je claironne
Et je fais claquer mes drapeaux
Je porte de gros paquebots
Et de nombreux frêles esquifs
Bercés de balancements vifs
Je sens le poisson frais
Je sens le poisson frit
Et les parfums secrets
Que la vague charrie
Je sens l'odeur du large
Envoûtante
Exotique
J'ai des vents qui se chargent
Au soleil des tropiques
Je sens l'iode et le goémon
De l'aval à l'amont
Et les couleurs de mes maisons
Ont des lignes de flottaison
Je sens la crêpe croustillante
Je suis ivre de cidre
Et de bière moussante
Et je chante
Et je vibre
Quand viennent les beaux jours
Une foule de passagers
Se presse à mes appontements
Pour vivre leurs séjours
En groupes partagés
Ou en alignement
Tandis que sur mon flanc
Toute la faune grouille
Je vogue
Je tangue
Ma langue aqueuse
Lèche la pierre de mon quai
Et s'en repaît
Jusque dans ses commissures
Elle creuse
Creuse mes blessures
Je roule
Je déborde
Et parfois je vomis
De gros paquets de mer
Revers amers
Le vents salé
Qui balaie ma surface
Me burine la face
Dans ma tenue d'été
J'ondule
Je rutile
Mais sous les frimas de l'hiver
Je suis tant pétri d'âpreté
Que j'en ai des rides sévères
Un pied marin
Un pied sur terre
Je m'alimente au fil de l'eau
Je suis aventure et mystère
Et le berceau du matelot
Dans mes changeantes silhouettes
Dans leurs nuances
Leurs facettes
Avec tous les battements d'ailes
De mes oiseaux en ribambelle
Pris dans le cadre d'un regard
Je pourrais être une oeuvre d'art
Roger Massé