pagnolesque Grimoirien
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| Sujet: Le moine et le meunier (nouvelle) Jeu 28 Fév 2013 - 7:28 | |
| Dans des temps très anciens, un village aujourd’hui disparu, était niché au pied du massif de l’Esterel. Souvent l’hiver venait déposer des couronnes blanches sur la tête des sommets. A la belle saison, ce sont de rares nuages vaporeux qui venaient y quérir quelques instants de repos avant de reprendre leur course éperdue. Dans ce village vivait le meunier Julius. C’était un homme avare et sans vertu. Cruel, il était maudit de tous. Long comme un jour sans pain, (le comble pour un meunier), il avait le visage taillé à la serpe duquel émergeait un énorme appendice nasal digne de Cyrano, qui aurait même pu en être jaloux. Pour mener son grain au moulin, il utilisait une vieille ânesse qu’il avait achetée comme il se doit, pour une bouchée de pain. Elle avait été belle jadis, mais à présent, elle avait le pelage terne, sans vie, un peu comme son regard que seules, la tristesse et la fatigue animaient. Elle avait passé toute sa vie à tirer la charrue d’un bon et paisible paysan et espérait vivre une paisible « retraite ». C’était là sans compter sur le meunier. Celui-ci la faisait travailler comme aux temps les plus durs de sa jeunesse et c’est sans relâche que le maître du moulin menait la bête à travers les chemins escarpés des collines pour prendre livraison de son or en grains. La pauvre bête était nourrie plus de coups de bâton que d’avoine, mais toujours hardie à la tâche, elle besognait sans rechigner, même si au fil des ans, le labeur lui paraissait de plus en plus rude. Mais pour le meunier, point de pitié. La bête était là pour l’ouvrage et il ne voulait pas entendre parler d’un quelconque repos, même si, et cela était d’une grand évidence, l’ânesse était arrivée au terme de son existence. Il se souciait bien peu des commentaires des villageois exaspérés. Puis vint le jour où un moine s’arrêta au village au cours de son pèlerinage. C’était un bon gros moine, dodu à souhait, au visage éclatant d’une cordiale jovialité, avec dans le regard une brillante et perpétuelle lueur de malice. Il se rendait ainsi, nu-pieds, à Saint-Jacques de Compostelle, conformément au vœu qu’il avait formulé en entrant dans les ordres et n’avait pour tout bagage que son bâton sur lequel il s’appuyait sans retenue pour gravir les sentes des collines du pays. Il n’aurait su dire pourquoi, mais il avait ressenti l’urgence de s’arrêter ici, comme s’il avait reçu un signe céleste et il découvrit bien vite le but de sa divine mission. Lorsque pour la première fois il rencontra le meunier avec son ânesse, celle-ci pliait sous le poids des sacs de blé. « Malheureux » ! dit-il au meunier : « Ne sais-tu pas que c’est l’un de ses ancêtres qui porta Marie dans les rues de Bethléem » ? « Allez au Diable vous et vos boniments » ! répondit le meunier : « Chez moi la bête porte le blé et peu importe le poids de son fardeau si ma bourse se remplit » ! Le moine ne répondit rien, mais son regard était chargé d’une sourde colère. Il posa son bâton sur le dos de l’animal puis reprit sa route. Lorsque le meunier eut atteint son moulin, la bête qu’il avait jusque-là tirée, le précédait marchant d’un pas alerte… Quelle ne fut pas la stupeur du meunier lorsqu’il découvrit des sacs de plumes à la place des sacs de grains. Il était dans une terrible fureur, ne sachant pas comment il pourrait rembourser le grain aux paysans sans toucher à ses économies. Et ainsi, les jours suivants, chaque fois que la bête était écrasée par le poids des sacs de blé, ceux-ci se transformaient invariablement en sacs de plumes pour le plus grand malheur du meunier qui ne parvenait plus à produire la moindre farine. Il rencontra de nouveau le moine un jour où il descendait au village par un temps glacial. La neige avait habillé les arbres jusque alors dénudés et de longues guirlandes de cristal pendaient au bout des branches transies de froids. La bête quant à elle, était épuisée et malade, et tenait à peine sur ses pattes. « Malheureux » ! dit le moine : « Ne sais-tu pas que c’est l’un de ses ancêtres qui réchauffa me divin enfant dans la paille de l’étable » ? « Allez au Diable vous et vos boniments » ! répondit le meunier : « chez moi, la bête me porte et c’est elle qui me réchauffe ». Une nouvelle fois le moine dans une colère sans nom, posa son bâton sur l’ânesse puis, sans dire un mot, comme lors de la première rencontre, reprit son chemin. De retour chez lui, le meunier tremblant de froid et de tous ses membres, décida pour se réchauffer d’allumer un grand feu. Mais cela fut peine perdue. Le bois n’était pas sec et pas la moindre flamme n’éclaira le bûcher. C’est grelottant de froid qu’il s’endormit fort tard dans la nuit. Une mauvaise fièvre le surprit et le cloua au lit durant les semaines qui suivirent tandis que, dans la cheminée, aucun feu ne voulait démarrer. Il ruminait en lui-même car le manque à gagner était d’une grande importance. Au printemps suivant, le moine qui s’apprêtait à reprendre son chemin, décida de rendre une visite au meunier afin de voir s’il avait compris les leçons. Lorsqu’il arriva au moulin, l’ânesse tirait d’énormes blocs de pierre qui allaient servir à la construction d’un autre moulin, plus grand encore que le premier et qui permettrait au meunier de gagner encore plus d’argent. Devant le moine atterré, épuisée par le poids de son âge, les mauvais traitements et le manque de nourriture, l’ânesse se coucha sur l’herbe tendre du printemps naissant et rendit son dernier soupir. « Malheureux » ! dit le moine : « Tu n’as donc rien compris » ? « Que Dieu te pardonne et qu’il me pardonne aussi » ! « Allez au Diable vous et vos boniments » ! dit le meunier : « Chez moi une bête est une bête et lorsqu’elle n’est plus bonne à rien elle n’a plus qu’à crever » ! « Ainsi donc » dit le moine « ton cœur est aussi dur que la pierre. Sans doute ne sais-tu pas que c’est l’un de ses ancêtres » … il désignait l’ânesse de son bâton… « qui conduisit le fils de Dieu au tombeau » ? Puis il se tut et se signant, reprit sa route sans plus s’arrêter. Le meunier resta là, immobile sous un pan de mur, cherchant sans doute à comprendre ce qu’avait bien voulu dire le moine. N’y parvenant pas et fou de rage, il décocha un coup de pied sur le cadavre de la pauvre ânesse. Alors, du ciel immaculé un roulement de tonnerre brisa le silence de la montagne et un éclair foudroyant s’abattit sur le mur qui s’écroula sur le meunier le faisant à son tour passer de vie à trépas. extrait de mon livre : "Les ruines ont une âme". Textes protégés par © Copyright N° 79Z516A Mon Grimoire
Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins.(Marcel Pagnol) | |
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Iloa Plume de Saphir
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| Sujet: Re: Le moine et le meunier (nouvelle) Jeu 28 Fév 2013 - 8:22 | |
| Dès l'introduction, j'ai su que j'allais vivre une belle lecture. Tu as un vrai talent Pagnolesque. Ton récit est empli de poésie et le fil de l'histoire vraiment bien mené. J'applaudis fort et te remercie...je pars travailler le cœur gonflé de ton récit. | |
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ghislaine Grimoirien
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| Sujet: Re: Le moine et le meunier (nouvelle) Sam 2 Mar 2013 - 22:14 | |
| Quel joli texte avec toute sa sensibilité mais si triste pour cette ânesse. Textes protégés par © Copyright N° 79Z516A Ghislaine | |
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pagnolesque Grimoirien
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| Sujet: Re: Le moine et le meunier (nouvelle) Dim 3 Mar 2013 - 8:04 | |
| - Iloa a écrit:
- Dès l'introduction, j'ai su que j'allais vivre une belle lecture.
Tu as un vrai talent Pagnolesque. Ton récit est empli de poésie et le fil de l'histoire vraiment bien mené. J'applaudis fort et te remercie...je pars travailler le cœur gonflé de ton récit.
Merci Iloa d'avoir pris le temps de lire cette petite nouvelle, rares sont les personnes qui s'attardent sur les textes un peu plus longs. Excellent dimanche à toi. Amicalement et Textes protégés par © Copyright N° 79Z516A Mon Grimoire
Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins.(Marcel Pagnol) | |
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pagnolesque Grimoirien
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| Sujet: Re: Le moine et le meunier (nouvelle) Dim 3 Mar 2013 - 8:06 | |
| - ghislaine a écrit:
- Quel joli texte avec toute sa sensibilité mais si triste pour cette ânesse.
Merci à toi d'être aussi passée lire cette petite histoire. Oui, triste pour l'ânesse, hélas, mais toutes les histoires ne finissent pas forcément bien. Excellent dimanche. Amicalement et Textes protégés par © Copyright N° 79Z516A Mon Grimoire
Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins.(Marcel Pagnol) | |
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