La Marie qui voulait convoler

Texte que je transcris de mémoire à la demande de ma fille L

Je vivais autrefois au bout d’un village tout près du bois que les habitants appelaient le Bois Clair. C’était un bourg assis entre Normandie et Ile-de-France.

On racontait qu’il y a très longtemps du temps où les Anglais régnaient encore sur la contrée…

… qu’une femme que le pays prenait pour une sorcière vivait dans une cabane en bordure de ce fameux bois. Elle faisait des prodiges; elle était fort douée dans son domaine et sa réputation allait loin au-delà des comtés d’Evreux et de Louviers… elle atteignait jusqu’aux oreilles des bûcherons de Brotonne et des tisserands du pays de Caux; tous la craignait mais venait souvent la consulter pour un enfant malade, un cochon qui n’engraissait plus ou bien…
pour des demandes plus délicates : un couple qui désespérait d’avoir un petit, un paysan qui implorait le ciel pour sauver sa récolte…
et des demandes moins avouables comme jeter un sort sur un voisin encombrant qu’on voulait envoyer au diable.

La Marie, c’était son nom, voulait en secret avoir un époux. Dans sa cabane, la solitude lui pesait car elle vivait à l’écart de la population comme la vieille Gersende avant elle : une femme qui l’avait recueillie par pitié un dimanche de novembre et qui lui avait appris le métier.

Depuis la mort de celle qui était devenue sa mère, aimante et douce quand elle se savait à l’abri des regards indiscrets car il faut bien la comprendre, elle tenait à sa réputation de méchante sorcière qui avait coutume de faire bouillir les petits enfants, ingrédient indispensable à la confection des cataplasmes qui faisaient merveille contre tous les bobos bien plus efficaces que le mercurochrome dont on use depuis l’interdiction formelle de l’utilisation de ces maléfiques potions … Ne me demandez pas pourquoi cette interdiction d’infanticide !.. ces enfants de toute manière seraient morts de faim et de froid, boulottés par les loups, pire piétinés par les sangliers qui glandaient dans la futaille.
… mais en ces temps anciens, on faisait fi de ces détails.

La Marie voulait en secret avoir un époux ! Ne me demandez pas pourquoi mais en ces temps anciens, c’était l’usage que les filles veuillent un époux et la Marie voulait faire comme toutes les filles de son âge - comme vous, mes enfants voulez porter les Nike qui feront fureur dans la cour de l’école et parader devant les copains avec la Nintendo dernier cric.

La Marie voulait avoir un époux… Comme je vous le disais, dans sa cabane de bois disjoint et de chaume pourri par l’humidité, la solitude lui pesait plus lourd que les sacs de farine que portait le père Toine, le meunier mort d’un breuvage d’herbes douteuses. La Marie était une brave fille. Il suffisait pour le vérifier, de bien creuser au fond de son âme et d’avoir un peu d’imagination ; Bref elle possédait toutes les qualités qu’un homme pouvait prétendre trouver dans une épouse, bonne cuisinière, ménagère accomplie et aimante à souhait : pour preuve, sa maison était l’arche des animaux mal aimés : oiseaux de nuit, chauve-souris, chats noirs, bébés abandonnés et j’en passe ! Sa marmite fumait d’une odeur légèrement âcre nuit et jour, elle avait le cœur à l’ouvrage mais la vie est injuste, la Marie ne trouvait pas d’époux.

La Marie voulait avoir un époux…Mais la vie est injuste, la Marie ne trouvait pas d’époux. Elle appelait tous les diables de ses vœux de convoler avec un compagnon à son goût. Quoi de plus normal ?

La Marie voulait avoir un époux. Mais voilà dans le pays, tous les gars étaient plus beaux et vigoureux les uns que les autres, une désolation je vous dis ! Elle se mit en chasse, elle passait ses soirées à poser des collets, elle perfectionnait ses pièges à rats pour déjouer l’intelligence masculine, elle camoufla des fosses à gros gibier recouvertes de feuilles et de branchages, elle alla jusqu’à répandre de la glu dans le hallier qu’empruntaient à Mâtines les jeunes paysans pour aller aux champs, elle tissa des cordes de lin, elle attisa la gourmandise des gaillards par des tourtes de calva arrosé de pommes mais elle rentrait toujours déçue…

La Marie voulait avoir un époux mais elle rentrait toujours déçue. La chasse n’était pas bonne, elle prenait bien quelques gibiers. Des connils comme on appelait les lapins à cette époque, un blaireau, un jour un renard puant…

Le pire, mes enfants… n’était pas ce menu gibier… ce menu gibier sans contenter son cœur, lui contentait son solide appétit mais…le pire mes enfants était qu’elle attrapait bien quelques hommes…

Elle récupéra bien dans la fosse au sanglier, l’échevin de Verneuil un gros homme rougeaud qui soufflait plus fort que la forge au Simon, son ventre lui cachant ses courtes pattes qu’il avait arquées comme s’il avait passé sa vie sur le vieux cheval de trait de la ferme Morin. Il était repoussant à souhait mais c’était un vieillard, il lui ferait peu d’usage à la Marie, elle renonça !

Elle prit plusieurs fois au collet, comble de l’horreur de jeunes jouvenceaux grands, aux longs cheveux blonds et soyeux : la Marie voulait avoir un époux mais pas à n’importe quel prix ! parmi eux elle trouva le diacre bossu et bête à manger du foin mais il était marié.

La Marie voulait avoir un époux et elle désespérait de trouver parmi tous ses jeunes gens à la peau douce qui sentaient bon comme le printemps, le candidat idéal.

Et puis par un bel après-midi de tempête, elle trouva entre deux bêtes crevées d’avoir mangé trop des restes de la tourte qui traînait sur la berge, un gars qui avait roulé dans le rû de l’Avre, celui que les tanneurs utilisaient à l’époque pour laver les peaux et les tissus.

La Marie voulait avoir un époux et elle venait de le trouver… ses oreilles lui battait les joues, ses bras lui arrivaient aux genoux et son regard sans expression fit un tel effet à Marie qu’elle se dit voilà « il n’est pas parfait, mais c’est un bon début » et l’amour fit le reste. A force de patience et d’ingéniosité, elle changea Charmant en Crapaud pustuleux qu’elle traînait longtemps sur l’épaule.

Mais les contes ne finissent pas toujours aussi bien qu’on le voudrait…
Ils vécurent heureux longtemps mais un jour Marie que l’âge rendait myope par étourderie fit tomber son époux dans la marmite. Comme elle n’avait rien vu, elle le laissa mijoter parmi les herbes et les racines que le malheureux comme dernière preuve d’amour, offrit à sa compagne, un souper fin au doux fumet.

La Marie porta le deuil deux ou trois jours puis elle voulut avoir un nouvel époux, l’histoire ne dit pas ce qu’il en advint…