Il râle sur le pas de ta porte, le moribond. Vite, tourne le regard vers le ciel et implore !
Pourquoi toi, pourquoi ce soir, pourquoi t’est-il imposé ce supplice ? Il est des devoirs qu’on se doit de fuir !
Par respect pour ce voisin si riche, cette église si propre, cette réputation que tu as construit avec ton sang et toutes ces fourberies si péniblement travaillées…cette place que tu as gagnée au soleil de l’hypocrisie…c’est un métier monsieur !
Mais peut-être qu’à lui expliquer toute cette abnégation, l’agonisant comprendrait-il et trouverait entre deux râles la force d’aller trépasser
plus loin ?
Allez, ça n’est pas parce que l’on meure qu’on est idiot, le bon sens l’emportera !
Deux coups de pieds plus tard à vouloir l’éclairer voilà que l’homme s’est éteint, te laissant seul avec ta culpabilité…l’ingrat !
Le réverbère dispense sa blanche lumière sur la scène et le visage laiteux posé sur le pavé n’est pas sans te rappeler quelque chose de familier sur lequel tu n’arrives pas à accrocher un souvenir. Il y a bien…mais non le neveu du notaire avait été emprisonné pour meurtre à l’autre bout de la France pour bien des années et à moins qu’il ne se soit évadé…Non, et puis un neveu de notaire ça ne peut pas avoir un aspect aussi rébarbatif, même aux portes de la mort. Il aurait certainement eu un peu plus de décence et de moins piètres habits…surement, surement. Pas comme le cousin du Léon, le fossoyeur, un alcoolique notoire qui ne révélait son art de la pioche aux éplorés qu’au bout de quatre ou cinq pichets de rouge gracieusement offerts par la mairie. Heureusement sa femme a pris la poudre d’escampette avec le frère du poivrot bien avant d’être le triste témoin de cette déchéance…allez comprendre les démons de chacun !
Enfin il faut de tout pour faire un monde dit le proverbe qui dit aussi de balayer devant sa porte avant de le faire devant celle du voisin !
Celle du voisin…tiens en voilà une bonne idée. Ce cher voisin ne supportant plus les feulements nocturnes de tes si chers et nombreuses compagnes, s’en plaignant même à la maréchaussée hilare, supportera bien ce cadavre qui lui au moins ne dérangera pas ses nuits solitaires.
Surtout ne pas dire que ta vie est dissolue il en couterait un duel pour défendre l’honneur des bourgeoises que tu ne fais modestement que consoler des absences de leur cher et tendre. Maire, huissier, juge ou autre…c’est un métier monsieur dis-tu, que tu as appris sous le joug d’une femme aimante et dévouée, t’ayant même donné un fils! Le fils de sa mère en fait, irrespectueux molesteur à hue et à dia, pour un rien, un coup de ceinture ou une maîtresse découverte. L’irrespect dans le pire de ses apparats ! Un moment difficile il faut le dire auquel il aura fallu pour la mère répondre en subtiles doses de mort aux rats mélangées avec amour chaque soir dans son infusion...un soulagement ce départ, ne pas la voir souffrir à supporter les affres d’une vie si...indigeste !
Le batard n’était même pas présent le jour de l’enterrement ! Il est vrai que tu l’avais dénoncé pour ce larcin que tu avais commis chez la mère Doutard. Quatre-vingt ans, la vielle peau, sourde comme un pot mais au matelas fourré de richesses insoupçonnées. Elle ne t’a même pas entendu quand tu es arrivé par derrière et que tu l’as frappé par trois fois avant qu’elle ne s’endorme enfin du sommeil du juste.
Il a pris vingt ans...ça méritait plus, mais bon...
Bref, il commence à faire froid, quelques flocons commencent à tomber sur le corps déjà raidi
Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche, personne !
Mon dieu que c’est lourd un cadavre, il ne t’aura vraiment rien épargné celui-là, même pas de maigrir comme il se doit d’un mendiant affamé...
Vingt heures sonnent au clocher, la neige a recouvert de son blanc linceul les rues éclairées et les cadavres anonymes. Les bonnes gens soufflent les bougies, le feu doucement dans les cheminées s’endort. Les justes reposent...
Ce matin le père Doutard vidant son pot de chambre, trébucha devant sa porte sur le corps d’un vagabond figé dans la mort, à tâtons le vieil aveugle posa ses doigts noueux sur la misère de cet homme qu’il n’a pas entendu certainement appeler à l’aide. Il pleura, se maudit et pria pour l’inconnu...
Un billet froissé s’échappe de la main crispée de l’inconnu dévoilant ces quelques premiers mots :
- Cher Papa...